Une vie au service du pays
Georges Martin est de ces hommes qui se font connaître une fois à la retraite, et pour cause: après une carrière exemplaire au Département fédéral des affaires étrangères, il peut à présent s’exprimer sans retenue. Outre ses prises de position sur les réseaux sociaux, son autobiographie récente, à mi-chemin entre récit d’aventures et manifeste politique, nous fait découvrir un personnage à la fois engagé et facétieux1.
D’une plume exubérante, l’ancien diplomate semble avoir pris le parti de montrer au lecteur que la vie d’un ambassadeur ressemble à toutes les autres, quelques péripéties exotiques en plus: il faut s’assurer les bonnes grâces de son chef, lui résister un peu sans trop le contredire, et surtout, concilier vie professionnelle et famille, ce qui n’est pas une mince affaire lorsqu’on déménage tous les trois ans.
De Berne à Bakou, en passant par Prétoria, Tel-Aviv, Ottawa, Paris, Jakarta et Kinshasa, Georges et son épouse Ursula vont cheminer avec leurs deux enfants au gré des nominations surprises et des rencontres inoubliables, comme celles avec Nelson Mandela ou François Mitterrand. Celui qui se qualifie d’ «ambassadeur de brousse» va à maintes reprises jouer l’audace, voire la provocation, contre le protocole, pour forcer le destin: à la conférence de Munich pour relancer les relations irano-saoudiennes comme à la douane azérie en exfiltrant un dissident politique.
C’est d’ailleurs pour «faire la différence dans des situations complexes en prenant les bonnes décisions» qu’il a choisi sa carrière. N’ayant pas renié le pacifisme de sa jeunesse, Georges Martin défend les bons offices de la Suisse. Il ne souhaite pas qu’elle devienne un simple «Luxembourg des Alpes», mais qu’elle continue à jouer son rôle de médiateur international. Il tient en particulier à cette Section des intérêts étrangers, dont l’histoire remonte à la guerre franco-prussienne de 1870.
Toute sa vie, il a entretenu son côté «potache, voire bravache», qu’il exprime dès son époque d’internat au Bouveret en refusant ostensiblement de baiser l’anneau d’un Mgr Lefebvre venu les visiter. Enfant de mai 68, féru de littérature et de philosophie, il se forme à l’école de Frantz Fanon, Bakounine, mais aussi Léo Ferré et Jean Ferrat. Etudiant, il s’engage au parti socialiste, avant de se rapprocher sur le tard de «la droite de la droite», qui selon lui a repris les combats chers à son cœur: la défense de la paix en Europe et de la neutralité suisse.
Ce grand voyageur, natif de Chamoson, développe des réflexions originales sur l’enracinement et le nomadisme. Il affirme par exemple que «hors-sol» ne signifie pas «déraciné»; lui-même est très attaché à son Canton et parle avec émotion du Valais traditionnel que ses parents ont encore connu: les hommes buvaient, puis se repentaient le temps du Carême; les femmes descendaient le matin vers les champs et remontaient le soir, souvent avec un enfant sur le dos; la vie n’était pas toujours celle, idéalisée, des romanciers dits régionalistes!
De manière inattendue, Georges Martin fait une belle profession de foi en la Trinité: «Je crois au Dieu révélé dans le Nouveau Testament», affirme-t-il, avant de préciser que cela ne l’a pas transformé en grenouille de bénitier. Il tient sa forte conviction d’une visite à la mystique Marthe Robin, alitée alors depuis 20 ans, et qui aura marqué sa vie. Pour autant, il ne cache pas avoir adhéré à Exit.
Critique de l’administration, cette «inertie frémissante», mais aussi de cette Suisse qui reprend des sanctions européennes, «illégales du point de vue du droit international», et encore d’Israël, qui se croit «assez fort pour gagner toutes les guerres, mais trop faible pour faire la paix», il termine avec un portrait caustique des chefs de département qu’il a connus. Ces quelque 380 pages, riches en anecdotes et réflexions, laissent un souvenir amusé et invitent à retrouver l’auteur en ligne pour débattre de l’actualité internationale.
Notes:
1 Georges Martin, Une vie au service de mon pays, Plaidoyer pour une Suisse neutre, active et respectée, Slatkine, 2024.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Un tour en Suisse centrale – Editorial, Félicien Monnier
- L’arbre, nouveau sujet de dérapage administratif – Jean-Hugues Busslinger
- Parler c’est hériter – Quentin Monnerat
- Le Conseil d’Etat et le nucléaire – Jean-François Cavin
- Les portes de l’enfer – Olivier Delacrétaz
- Mendier les poches pleines – Cédric Cossy
- L’impunité des assassins – Jean-François Cavin
- Désarroi – Jacques Perrin
- Bach sublimé – Frédéric Monnier
- L’anxiété, une compétence cantonale – Le Coin du Ronchon