Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

L’arbre, nouveau sujet de dérapage administratif

Jean-Hugues Busslinger
La Nation n° 2278 2 mai 2025

Les parlementaires vaudois ont adopté, fin août 2022, la loi sur la protection du patrimoine naturel et paysager (LPrPNP). Depuis, un important travail administratif a été effectué qui nous vaut non seulement un règlement d’application de la loi, mais encore une kyrielle de dispositions additionnelles à l’intention des communes: un inventaire des tâches obligatoires et facultatives de celles-ci en matière de conservation des arbres, une «marche à suivre» pour l’adoption d’un règlement communal sur la protection du patrimoine arboré ainsi qu’un modèle de ce règlement communal. Plusieurs communes ont d’ores et déjà édicté leur règlement, d’autres y travaillent activement. Dans un souci de précision, chaque échelon administratif n’a pas manqué d’ajouter son grain de sel, au gré du zèle de fonctionnaires consciencieux.

 

Une protection quasi absolue…

Alors qu’avant 2022 les arbres n’étaient de loin pas dépourvus de protection, la nouvelle loi souhaite améliorer la protection de ceux-ci, dorénavant pompeusement appelés «patrimoine arboré». Ce qu’il faut bien qualifier de cathédrale administrative a pour effet non seulement de sanctuariser la presque totalité des arbres, mais encore de corseter leur malheureux propriétaire dans un réseau de normes coûteuses et qui font bien peu cas de la garantie de la propriété.

La loi pose le principe de la protection du patrimoine arboré, protection qui s’étend tant à ses éléments individuels qu’à l'ensemble cohérent qu'ils forment, ce dans leur état actuel. Par patrimoine arboré, on entend, selon le règlement type édicté par l’Etat à l’intention des communes, les arbres d’une circonférence supérieure ou égale à 40 cm mesurée à 1 m du sol (soit un diamètre de l’ordre de 12,7 centimètres), qu’ils soient indigènes ou pas, isolés ou en allées, dans des cordons boisés, des bosquets, des haies ou des vergers; les plantations compensatoires quelle que soit leur circonférence; les bosquets d’une surface inférieure à 800 m2; toutes les haies vives et, dans la zone agricole, le patrimoine arboré non inscrit comme agroforesterie. C’est dire que la définition englobe à peu près tout ce qui porte feuilles, à l’exception de buissons ou d’arbrisseaux.

 

… et des normes à foison

En cas de plantation de remplacement, par exemple lorsqu’un vieil arbre malade doit être enlevé ou que les éléments naturels se chargent de l’abattre, la plantation compensatoire est de jure absolument protégée. Si, pour les quelques raisons tolérées par la loi (impératifs d’aménagement ou de construction, entrave avérée à l’exploitation agricole ou risques sécuritaires ou phytosanitaires avérés), un arbre doit être abattu, le remplacement doit en principe intervenir sur la même propriété. A titre exceptionnel, le paiement d’une indemnité compensatoire – dont le montant est versé dans un fonds communal – est admissible. L’indemnité est calculée selon une tabelle et une formule de calcul perfectionnée, qui peut aller jusqu’à 65'000 francs. Même un arbre mort crée une dette pour le propriétaire du fonds, puisque son abattage doit être compensé à raison de 500 francs. On passera sur le régime d’autorisation, les formulaires à adresser à la commune, la perception d’émoluments ainsi que les contrôles et les sanctions en cas de violation des normes de protection.

Plus insidieux, on ne peut manquer de signaler le surcroît de normes contenues dans les projets de certains plans d’affectation communaux (PACom). Ainsi, Lausanne impose un indice de pleine terre (maintien d’une partie de la surface de la parcelle en pleine terre) ainsi que l’obligation, dans la zone foraine – 56% du territoire tout de même – de planter des arbres, à raison d’un arbre par 250 m2 de surface de la parcelle, de façon à permettre à terme un recouvrement de 30% de canopée sur la parcelle. Dans cette zone, on pourrait ainsi contraindre le propriétaire d’une parcelle jusqu’ici destinée à l’agriculture – et notamment la pâture – à planter, à ses frais, une kyrielle d’arbres dont il n’a pas besoin, qu’il devra de surcroît entretenir et qui bénéficieront ensuite d’une protection quasi absolue.

 

Une dérive dangereuse

L’arbre est ainsi devenu non plus un bien soumis à la propriété privée, mais une sorte de bien communautaire, appartenant à la collectivité et géré en grande partie, sauf les coûts d’entretien bien sûr, par les communes sur délégation du Canton. On doit malheureusement y voir une expropriation «en douce», sans que l’intérêt public suffisant de la mesure soit démontré. L’avalanche bureaucratique traduit un interventionnisme profond de l’administration qui impose par exemple que la plantation (compensatoire) soit déterminée d’entente avec la Municipalité (nombre, essences, surface, fonction, délai d’exécution).

Ce regrettable exemple de dérapage administratif n’est pas anodin sur le plan des coûts, car il faudra bien rémunérer les nombreux fonctionnaires nécessaires à l’administration du système, et illustre à la perfection l’évolution pernicieuse des normes. Partant d’un souci louable de ne pas faire n’importe quoi avec les arbres dans le Canton, on en vient à créer un Ballenberg pour bobos, aux frais des propriétaires de parcelles arborées. Les responsables politiques ont ainsi laissé une administration en roue libre créer un surcroît de normes à l’utilité pour le moins contestable. Quant au parlement cantonal, il n’a vu que l’arbre qui cachait la forêt… Heureusement que certains Conseils communaux – Avenches tout récemment – semblent organiser la fronde. Tout n’est peut-être pas perdu.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*



 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: