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Boualem Sansal, la France et l’Algérie

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2273 21 février 2025

La dernière rentrée littéraire en France a été africaine: le Renaudot pour le franco-rwandais Gaël Faye (Jacaranda) et surtout le Goncourt attribué au franco-algérien Kamel Daoud pour Houris, roman centré sur la décennie noire (1992-2002), années de guerre civile en Algérie. Au cours des nombreux entretiens qui ont suivi l’événement, Kamel Daoud a fait cette touchante déclaration: «J'étais dans une famille qui ne parlait pas le français, qui ne lisait pas, et le seul endroit où j'avais une île à moi tout seul, une île de milliardaire, c'était la langue française.»

Dans Le français, parlons-en ! Boualem Sansal dit lui aussi son amour pour la langue française, dans un texte vivifiant et passionné où l’humour le dispute à la consternation, face à la dégradation et au mépris dont elle est l’objet dans l’usage quotidien, dans l’enseignement. Pour lui, le français est la langue de la liberté, celle qui donne accès à la civilisation universelle: «En matière de grandeur, la langue est la clé, elle est magique, elle ouvre toutes les portes, de la terre et du ciel, elle est la pierre philosophale qui révèle, nomme, exalte, enclenche le processus de libération qui mène à la sapience et à l’éternelle jouvence.» Le français! Que faire de ce «butin de guerre», selon la célèbre expression de Kateb Yacine, à la fin de la Guerre d’Algérie? L’actuel pouvoir issu du FNL a honte de sa francophonie comme d’une maladie vénérienne; il refuse l’héritage et s’applique laborieusement à éradiquer une langue implantée depuis bientôt deux siècles, au profit de l’arabe et de l’anglais globish. La guerre d’indépendance avait été menée par des élites francophones. Les archives officielles de la période coloniale et au-delà sont en français, langue encore vivante dans la rue, dans la presse, dans la littérature, dans les échanges. L’Algérie qui a chassé la France a du mal à la quitter.

Bien que récent binational, Boualem Sansal fait figure de sans-papier de la littérature, à cause du divorce perpétuel de ses deux patries. L’enfant non désiré du couple maudit a été arrêté à l’aéroport d’Alger le 16 novembre dernier et détenu depuis par un régime schizophrénique et agressif qui survit par la corruption, et tire sa légitimité d’une rente mémorielle à vie. Boualem Sansal, homme doux et triste, prévoit le monde de demain: «C’est à la fois l’Oceania de Big Brother (1984) l’Abistan de Big Eye (2084), la Corée du Nord des Kim et la Nouvelle Algérie de Big Tebboune (2024) où j’habite encore dans un état d’invisibilité avancé. Dans ces pays, le malheur n’existe pas par décret, on l’appelle bonheur et le tour est joué. L’homme heureux ne se révolte pas. Contre qui le ferait-il?»

Il est difficile de comprendre la naïveté de l’auteur des lignes ci-dessus qui s’est jeté dans la gueule du loup au moment où la tension persistante entre les deux Etats était exacerbée par les déclarations du président français au sujet du Sahara occidental. Les nombreuses pétitions internationales pour demander la libération de Sansal ne font qu’attiser la haine irrationnelle du gouvernement algérien qui y voit «une affaire scabreuse visant à mobiliser contre l’Algérie». Malheur à ce prisonnier d’opinion otage d’une dictature cynique, mal défendu par une France impuissante livrée aux errements du macronisme finissant.

Référence: Boualem Sansal, Le français, parlons-en ! Les Editions du Cerf, 2024, 187 p.

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